Tout le monde s’accorde à dire que la demande des clients est une donnée complexe qui dépend de nombreux facteurs et qui est donc très difficile à déterminer surtout sur le moyen-long terme. En particulier, comme nous allons le montrer ci-dessous, la demande dépend de décisions qui sont prises en phase de conception de la CL. Paradoxalement, la majorité des modèles de conception de CL modélise la demande comme un paramètre exogène donné a priori. Il nous paraît donc très important de relever le défi scientifique qui consiste à revisiter les modèles de conception d’une CL en y intégrant la demande comme une donnée endogène, qui va dépendre des décisions prises lors de la conception de la chaîne. Nous nous intéressons particulièrement à la sensibilité de la demande à la performance environnementale. Les préoccupations environnementales sont assez récentes (par rapport à d’autres critères d’achat tels que le prix, le délai, etc.), mais prennent une dimension de plus en plus importante dans les processus de sélection des produits par les consommateurs finaux. Beaucoup de chercheurs s’accordent à dire qu’il faut revisiter les modèles déjà établis en gestions d’opérations et logistique en y incluant la dimension environnementale car celle-ci est susceptible de modifier les pratiques logistiques de nos jours.
Nous allons montrer comment la prise en compte d’une demande endogène sensible à la performance environnementale peut conduire à modifier sensiblement les décisions de conception d’une CL afin de tirer profit de l’intérêt des clients pour des produits plus verts,… En particulier, nous montrons ici comment une modélisation endogène de la demande, permettra notamment de répondre à des questions importantes sur l’arbitrage entre les CL internationales et territoriales ou bien l’engagement vers une démarche environnementale plus volontariste, questions cruciales pour le renouveau industriel dans nos sociétés occidentales.
L’émergence inéluctable des problématiques environnementales a impacté le comportement de certains clients qui commencent à tenir compte de la performance environnementale des produits dans leurs décisions d’achat (voir p. ex. Krass et al., 2013). Selon une enquête de la Commission européenne (2009), 83 % des européens accordent une grande attention à l’impact des produits sur l’environnement lorsqu’ils les achètent. Or, cette performance environnementale n’est pas déterminée seulement par les décisions relatives à la conception du produit et au choix de ses constituants mais doit être vue au sens large en incluant l’impact environnemental des différentes activités tout au long de la CL. Selon Bjorklund et al. (2012), la performance environnementale dépend, entre autres, du choix des technologies de fabrication (plus ou moins polluantes et consommatrices d’énergie), de la localisation des sites de production (ce qui peut engendrer plus ou moins de transport et donc d’émissions), et de la sélection des modes de transport. Or, ces dernières décisions relèvent de la conception de la CL. Dans ce contexte, une question importante est de savoir si, face à la conscience environnementale des clients, l’entreprise n’aurait pas intérêt à repenser la configuration de sa CL afin de réduire son impact sur l’environnement même sans législation contraignante imposée par les gouvernements. En particulier, il est intéressant d’étudier si un coût supplémentaire engendré par une CL moins polluante et moins consommatrice d’énergie peut être compensé par une augmentation de revenus provenant d’une augmentation des demandes obtenue grâce à l’amélioration de la performance environnementale.
Ainsi, les modèles que nous proposons de développer permettront d’adresser des problèmes stratégiques pour les entreprises qui peuvent conduire à la migration vers des nouvelles configurations logistiques ou des stratégies environnementales plus volontaristes jusque-là considérées comme non profitables par de nombreuses entreprises. Il est important de noter que les réponses à tous ces problèmes de décisions sont impossibles à mettre en évidence avec les modèles classiques où la demande est exogène et ne dépend donc pas des décisions logistiques. Clairement, les problématiques auxquelles nous voulons nous attaquer, et dont quelques exemples sont cités ci-dessus, peuvent aussi avoir des retombées significatives pour la société. Par exemple, la caractérisation des conditions sous lesquelles les entreprises ont intérêt à adopter une configuration locale de leur CL donnera des arguments étayés pour conserver des sites de production dans un pays d’origine, ce qui permettra de créer (ou, au moins, garder) les emplois. Egalement, la détermination des conditions sous lesquelles l’entreprise a intérêt à revoir sa CL pour adopter une démarche environnementale volontariste contribuera à la diffusion de bonnes pratiques respectueuses de l’environnement.
Comme nous allons le montrer ci-après, cette nouvelle vision des modèles de conception de CL nécessite un travail important sur le plan théorique. En plus, elle fait appel à plusieurs domaines de recherche (logistique, génie de l’environnement, recherche opérationnelle, évaluation multi-critères d’une CL). Ce travail nécessite également de mobiliser des compétences sur chacun des critères étudiés pour la sensibilité de la demande. La collaboration et la complémentarité des chercheurs impliqués est alors un facteur clé de la réussite de ce projet.
Dans la suite de cette section, nous présentons un état de l’art sur l’intégration d’une demande endogène dans les modèles de CL en montrant notre contribution dans ce domaine. Nous présentons ensuite les objectifs de ce projet et les différents défis scientifiques qu’il faudra relever.